Le Paradoxe de l'Emploi au Togo : Quand l'Informel Définit le Marché du Travail

L'analyse de la structure de l'emploi au Togo révèle une réalité socio-économique complexe, où le secteur formel, bien qu’essentiel à la fiscalité et à la stabilité institutionnelle, est largement éclipsé par la prédominance massive du secteur informel. Ce déséquilibre structurel, courant dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest, est le reflet des défis persistants en matière de développement économique et d’accès à la protection sociale.

La Démographie du Travail : Une Base Restreinte

Selon les données fournies par le Service National de Médecine du Travail (SNMT), le Togo comptait, au moment de l'étude, une population de 5 millions d’habitants, dont 2,5 millions étaient considérés comme étant en âge de travailler (entre 15 et 60 ans). Ces chiffres, bien qu'antérieurs à la démographie actuelle (estimée à plus de 9 millions d’habitants), établissent un point de référence critique : seul un certain pourcentage de la population totale est apte à générer une richesse économique par le travail rémunéré.

De ces 2,5 millions d'individus en âge d'activité, le nombre de personnes exerçant réellement une activité professionnelle rémunérée s'établissait à 1,5 million. C’est sur cette base que s'articule la répartition entre le travail organisé et le travail de subsistance.

Le Secteur Formel : Un Poids Léger mais Stratégique

Le secteur formel togolais se distingue par son caractère restreint. Il englobe les entreprises et les institutions qui sont officiellement enregistrées, qui paient des impôts, et qui sont soumises au Code du travail, offrant ainsi une certaine sécurité et des avantages sociaux à leurs employés.

Les Salariés du Secteur Privé

Le secteur privé, moteur de l'innovation et de la croissance économique, n'emploie qu'une infime partie des travailleurs togolais. Les données indiquent que seulement 4% de la population active (des 1,5 million d’actifs) travaille dans ce secteur, ce qui représente environ 60 000 salariés.

Ces entreprises formelles, qu'il s'agisse de banques, de télécommunications, ou d'industries manufacturières, constituent pourtant l'ossature moderne de l'économie. Leur faible poids numérique illustre un marché de l'emploi formel très compétitif et limité en termes de volume.

Les Fonctionnaires et Agents Publics

De manière similaire, les établissements publics (administrations, hôpitaux, écoles publiques) n'absorbent que 2% de la population active. Ce segment représente les fonctionnaires et les agents de l'État, dont le nombre est traditionnellement régulé par les capacités budgétaires du pays. Bien que ce pourcentage soit faible, l'emploi public joue un rôle essentiel dans la prestation des services de base et dans la stabilité sociale.

La Zone Franche : Un Cas Particulier

Un autre bassin d'emploi formel significatif se trouve dans la zone franche de Lomé, qui concentre environ 10 000 travailleurs. Créée pour attirer les investissements étrangers grâce à des incitations fiscales et douanières, cette zone illustre une tentative réussie de développer un pôle d'emploi industriel et commercial formel, même si son impact global sur le chômage reste marginal.

Au total, l'ensemble du secteur formel (privé, public et zone franche) représente à peine 6% de la population active totale, soulignant l'écart béant avec les pays industrialisés.

L'Hégémonie de l'Informel : Le Cœur de l'Économie de Subsistance

Face à la rareté des emplois formels, la grande majorité des Togolais trouve une source de revenus dans le secteur informel. Ce secteur est caractérisé par une faible productivité, l'absence de protection sociale (assurance maladie, retraite), et des conditions de travail souvent précaires.

Le Poids du Secteur Agricole

Le secteur agricole est, de loin, le principal pourvoyeur d'emplois, absorbant 72% de la population active. Cette proportion souligne l'importance vitale de l'agriculture pour l'économie de subsistance togolaise. Ces travailleurs sont largement regroupés au sein de 8 000 coopératives, démontrant une tentative d'organisation, même si la grande majorité des exploitations restent familiales et peu mécanisées. Cette dépendance à l'agriculture rend l'emploi vulnérable aux chocs climatiques et aux fluctuations des marchés des matières premières.

Les Autres Travailleurs de l'Informel

Le reste de la population active non répertoriée dans les pourcentages précédents, soit 0,8 million d’individus, est classé dans les autres activités du secteur informel. Cette catégorie est extrêmement diversifiée et comprend :

  • Les petits commerçants et vendeurs de rue (détail).
  • Les artisans (menuisiers, mécaniciens, tailleurs) travaillant à leur propre compte.
  • Les prestataires de services non structurés (petits transporteurs, cireurs de chaussures, porteurs).

Ces individus sont les entrepreneurs du quotidien, opérant par nécessité et non par choix stratégique, et assurant l’approvisionnement et les services de base pour la majorité de la population.

Implications Socio-Économiques du Contraste

La répartition de l'emploi au Togo, fortement polarisée entre une petite élite formelle et une masse informelle, engendre des conséquences majeures pour le développement humain et social.

Défis de la Protection Sociale et Sanitaire

Le déséquilibre a un impact direct sur l'accès à la protection sociale. Les 94% de la population active qui dépendent de l'informel et de l'agriculture ont rarement accès à une couverture maladie, à la retraite ou aux indemnités de chômage. Cette situation rend ces travailleurs et leurs familles extrêmement vulnérables aux accidents de la vie, aux maladies et aux chocs économiques.

L'Urgence de la Formation en Secourisme

Comme l'illustre le projet de partenariat en médecine du travail, la faible formalisation des entreprises signifie que les normes de sécurité et de santé au travail sont rarement appliquées. Le nombre de personnes formées au secourisme n'est que de quelques centaines. Ce chiffre est alarmant au regard du 1,5 million de personnes exerçant une activité professionnelle. La grande majorité des accidents du travail se produisent dans le secteur informel, où l'accès aux soins de premier secours est quasi inexistant, rendant la formation des secouristes une priorité absolue pour le Togo.

Vers une Formalisation Progressive

Le défi pour les autorités togolaises est de soutenir la croissance de l’emploi formel sans nuire à la survie du secteur informel. Les politiques doivent viser à :

  • Faciliter la transition des petites unités informelles vers des statuts formels simplifiés.
  • Élargir la base de la protection sociale en créant des régimes adaptés aux travailleurs de l'informel (par exemple, des assurances santé contributives et des micro-retraites).
  • Renforcer la formation professionnelle pour améliorer la productivité des secteurs formel et informel.

 

En conclusion, la structure du marché du travail au Togo est le miroir des défis de développement du pays. Elle met en lumière une économie duale où la minorité formelle soutient l'État, tandis que l'immense majorité informelle assure la survie quotidienne du pays. Réduire cet écart et étendre la protection sociale à tous les travailleurs demeure l’enjeu majeur pour l’avenir économique et social togolais.

Le développement économique et social du Togo est inextricablement lié à la transformation de son marché du travail. Les chiffres que nous avons examinés illustrent une réalité complexe : un secteur formel, bien que crucial, ne peut à lui seul absorber la population active du pays, laissant la majorité des travailleurs dans un secteur informel qui, malgré ses faiblesses, est le véritable moteur de l'économie de subsistance. Cette dualité n'est pas unique au Togo, mais sa compréhension est fondamentale pour orienter les politiques de développement et les initiatives d'aide de manière efficace.

Les efforts de formation, comme le partenariat entre la France et le Togo pour le secourisme, sont des exemples éloquents de la manière d'aborder cette réalité. En ciblant directement les travailleurs et les professionnels de la santé sur le terrain, ces projets dépassent la simple assistance pour favoriser l'autonomisation. Ils ne se contentent pas de pallier le manque de ressources, mais transmettent des compétences et des connaissances qui ont un effet multiplicateur, permettant à la communauté de devenir elle-même un acteur de son propre développement.

À l'avenir, le Togo et ses partenaires devront continuer à privilégier ces approches pragmatiques et durables. Il est vital d'investir non seulement dans les infrastructures et le secteur formel, mais aussi de soutenir et d'organiser le secteur informel, qui est le socle de l'emploi pour des millions de Togolais. Cela pourrait passer par des initiatives visant à améliorer les conditions de travail dans l'agriculture, à formaliser les petites entreprises, et à offrir des formations professionnelles adaptées aux besoins de ce marché de l'emploi unique. En reconnaissant la valeur du travail informel tout en cherchant à en réduire la vulnérabilité, le Togo peut tracer un chemin vers une croissance plus inclusive et plus équitable.